« … Le voilà. »

Se tenant sur les derniers barreaux d'une échelle en bois, Claes saisit du bout des doigts un bouquin poussiéreux à la reliure de cuir et entreprit de descendre. La pièce était sombre et semblait ne pas avoir été visitée depuis des années. Peut-être même des dizaines d'années. La famille Hillson avait une demeure aux quatre coins du pays et chacune pouvait se vanter d'avoir une spécialité. Celle de Central était connue pour sa taille astronomique, celle du sud pour ses jardins luxuriant et sa foret, celle de l'est pour son incroyable bibliothèque... Lieu où se trouvait actuellement l'alchimiste. Après la mort d'Elyon, il y a de cela trois ans, le brun s'était vu obligé de renouer avec ses parents. Si les Rosenfield avait décidé d'envoyer quelqu'un éliminer leur fille, il y avait fort à parier que les Hillson ait une idée semblable. Mettez vous à dos ces deux familles et dans moins d'un mois, votre vie aura pris fin. Quelques longues semaines après avoir trouvé Elyon sans vie dans son salon, Claes était retourné à West City, là où logeait habituellement les Hillson. A sa grande surprise, ni son père, oncle, tante, mère ou frère n'avait dit quoi que ce soit quand il avait franchi le seuil de la porte. Juste un : « Bon retour à la maison » avant qu'ils ne retournent tous à leurs occupations. On ne lui a jamais demandé d'explications et c'était mieux ainsi. Dans tous les cas, il ne leur aurait pas menti. Il a aimé Elyon comme jamais plus il ne pourrait aimer quelqu'un et aujourd'hui encore, bien qu'il ne le montre pas, elle occupait une part importante de son cœur. Le hantant la nuit et le poussant continuellement à se remettre en question. Il avait fait son deuil, c'était vrai, mais continuait à déposer le plus souvent possible de somptueux bouquets sur la tombe de sa défunte amante.

Une fois arrivé au sol, il se laissa tomber dans un vieux fauteuil en bois et en velours pourpre et posa négligemment ses pieds sur une petite table de verre située non loin. Il observa le livre qu'il avait réussi à trouver, après des heures de recherche. Il n'avait pas été posé au hasard dans cette bibliothèque, c'était comme si quelqu'un avait tenu à le cacher. Alors qu'il allait ouvrir la première page, sa main hésita. Il était presque certain de ce qu'il allait y trouver, encore fallait-il vouloir prouver ses doutes. Il soupira et se leva, l'ouvrage sous le bras, et sortit de la pièce pour arriver dans le grand hall.

« Monsieur a-t-il trouvé ce qu'il cherchait ? »
« En effet, vous pouvez refermer la pièce, désolé de vous avoir dérangé à l'heure du déjeuner. »
« Il n'en est rien, voyons ! C'est toujours un plaisir de servir votre famille, Monsieur. Surtout que vous ne passez pas souvent dans l'Est. »
« Vous devez vous sentir seul dans ce château, à longueur de journées... »
« Sans vouloir vous contredire, Monsieur, j'ai comme compagnie les cuisinières, jardiniers, ménagères, sans compter ceux qui gardent la maison. Nous sommes loin d'être seuls, ne vous inquiétez donc pas. Et puis, s'occuper d'une telle habitation est très prenant. Sans oublier que nous faisons tous ceci avec joie. »

Claes lui esquissa un sourire. Dans le passé, il l'aurait regardé de haut et n'aurait même pas ouvert la bouche pour lui répondre. Et pourtant, il avait cet homme en affection. Depuis sa naissance, il se souvenait toujours de sa présence. Sa femme était une excellente cuisinière et leurs enfants étudiaient encore, pour pouvoir servir les Hillson comme le faisaient leurs parents. Le personnel était toujours choisi d'une génération à l'autre, jamais une personne n'avait été engagée du jour au lendemain. De plus, il fallait suivre une sorte de formation stupide obligée par son père. Ils devaient tous savoir faire un minimum d'alchimie, manier les armes à feu comme les armes blanches, parler trois langues couramment et, même s'ils voulaient par exemple être un des gardes, savoir s'occuper du jardin et de toutes les autres tâches. La folie des grandeurs tenait son père depuis toujours.

Claes prit congé et marcha jusqu'à rejoindre le centre de la ville. Il faisait un temps radieux, un soleil éblouissant, une légère brise et presque aucun nuage pour gâcher ce ciel bleu. Une fois rendu dans East City même, il chercha une terrasse où il pourrait tranquillement lire au soleil, ce qu'il trouvait rapidement. Une serveuse prit sa commande et il ouvrit enfin le volume. Les pages étaient jaunies par le temps, d'une finesse qui pouvait faire penser qu'en les tournant, elles allaient se briser entre ses doigts, n'en laissant que de la poussière. Tout était écrit à la main, il n'y avait aucune photo à l'horizon, juste des dessins à l'encre. Le titre du livre ? Il n'y en avait pas. Alors de quoi traitait-il, pourriez-vous vous demander. De l'arbre généalogique des Hillson et d'une biographie d'une page sur chaque membre de cette famille. Claes fit défiler les feuilles jusqu'à trouver quelque chose d'intéressant, daté de 1792.

« Bingo... »

La raison des querelles incessantes entre les deux familles d'alchimistes, il en avait enfin trouvé la cause. Le même nom était à plusieurs reprise rayé, Antiopée Hillson. Sur l'arbre généalogique, une croix suivie du chiffre 22 se situaient à côté de son nom barré. Eux aussi avaient osé. Alors qu'il s'apprêtait à lire sa courte histoire, griffonnée à la hâte comme si elle n'aurait du intéresser personne, il fut interrompu par l'arrivée d'une personne à la table voisine. Il leva les yeux de l'œuvre familiale et un sourire amusé étira ses lèvres à la vue du nouvel occupant.